Marie Apostoloff – 1/ L’Aïki à tout prix !

Marie est une personne déconcertante aux qualités indéniables. Elle est à mes yeux l’incarnation de l’esprit du Kishinkaï, l’association où l’on approfondit la pratique en se réjouissant. Car Marie, c’est cela : la bonne humeur et le plaisir de se retrouver mais aussi le travail sérieux et un investissement de tout son être.

Je lui laisse dès à présent la parole au travers de cette première interview à laquelle elle s’est prêtée, dans le cadre du fil rouge de ce blog (voir La Transversale).

 

Marie, lors de la Nuit des Arts Martiaux Traditionnels de 2012 (par Olivier Le Rille)
Marie, lors de la Nuit des Arts Martiaux Traditionnels de 2012 (par Olivier Le Rille)

 

Marie, quelle est la discipline que tu pratiques et ses particularités  ? Comment y es-tu venue ?

Je pratique un art martial Japonais, l’aïkido. Le premier cachet, témoignage d’une toute première participation à un stage date de novembre 2006. C’était lors d’une rencontre internationale animée par Tamura sensei au Bouscat, non loin de Bordeaux, une semaine après mes débuts dans la discipline. Je crois que je m’en souviendrai à vie. J’en ris d’ailleurs car d’aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours foncé me lançant corps et âme dans ce que j’entreprenais, certes quelques fois sans réfléchir mais je n’ai jamais eu à le regretter. C’est dingue! sur le papier cela fait près de huit ans que je pratique, avec de nombreuses interruptions liées aux aléas de la vie, mais quand même! Je souris encore à l’évocation de ces presque huit longues et riches années et l’émotion pointe le bout de son nez.

Tamura Senseï
Tamura Senseï

La particularité de cette discipline est son aspect spirituel car bien loin de n’être qu’un sport, c’est une véritable philosophie de vie globale qu’elle propose, dans un but d’évolution et d’épanouissement de l’individu. L’aïkido développe un sens aigu  » du tempo « , de la  » musicalité  » d’un mouvement, afin d’être capable de répondre avec justesse à une situation donnée. Une constante remise en question est nécessaire ainsi que la paradoxale intuition d’être sur la bonne voie, un peu comme une sorte d’assurance en ce que l’on croit sans jamais trop savoir si l’on approche de la (sa) vérité. Ce monde n’est pas celui du confort, il faut alors se montrer patient et pugnace. Cet art martial passionnant favorise la connaissance de soi par le biais d’une prise de conscience importante de ses limites et de ses possibilités. S’adonner à une telle discipline favorise la maîtrise de l’ego… L’autre particularité de l’aïkido est qu’il se situe à mi-chemin entre une pratique collective, en s’entrainant à deux voire plus, et individuelle car l’immersion dans le monde de la sensation propre à chacun, est total. Un va-et- vient continu entre l’autre et soi. On y apprend à gérer la relation à autrui, grâce à la création de l’harmonie, de la fusion, en délaissant si possible la confrontation. Il est à noter que la discipline se montre généreuse envers ses adeptes car il est possible à chacun d’eux de l’enrichir en fonction de ses propres particularités. J’ai souvent dit que j’y étais venue par hasard mais en se penchant sur la question, le hasard existe-t-il ? Une période de vie un peu compliquée et ne sachant que faire de toute cette énergie, je me suis renseignée sur les arts martiaux. En premier lieu, ce que je désirais était de pratiquer le Sanda, très bien représenté en Limousin par la famille Moua mais l’envie de donner des coups sans forcément en recevoir m’a poussée à continuer mes recherches et c’est comme ça que je suis « tombée » sur l’aïkido. Aujourd’hui je me rends compte du bonheur et de la chance dont je bénéficie grâce à l’aïki, et suis heureuse et fière de pratiquer cette discipline qui m’apparaît presque obligatoire en tout cas bénéfique dans mon parcours de vie.

 » Avoir envie de donner des coups implique d’être capable d’en recevoir.  »

Marie, au sein de son premier club d'aïkido
Marie, au sein de son premier club d’aïkido

On parle souvent de sensations dans les arts martiaux (ou d’explorations sensorielles). Quelles sont les sensations que tu y trouves, ou celles que tu y cherches ?

Il est vrai que la recherche de sensations dans les Arts Martiaux est importante voire indissociable! Je trouve cette question très intime et malgré toutes les sensations que peut offrir une telle discipline, j’ai eu et j’ai encore pas mal de difficultés à y répondre.
On vit dans un monde d’excellence, de compétitivité, de victoire, de réussite, il faut être bon partout au boulot, en famille, avec nos amis sur un tatami…Nous sommes des êtres sociaux, engagés dans une vie agitée et stressante. Monter sur un tatami c’est en quelques sortes se débrancher de la vie extérieure, c’est entrer en soi, faire silence. Au travers de l’apprentissage des techniques, on apprend la discipline, le contrôle, l’effort, la douleur parfois, sortes de marches à gravir qui, franchies, donnent le sentiment d’avoir progressé. Un exemple: je reviens d’un stage en Belgique, où pour la première fois, j’ai réussi à disparaitre le temps d’un Kokyo Ho. Bref instant d’harmonie pure.
Les Arts martiaux sont un bon moyen de se confronter à soi-même, à ce que peut faire le corps et l’esprit. Ces victoires ont un petit quelque chose de « divin » et nous permettent de transcender notre nature. Voilà ce que je suis venue chercher.
L’une des raisons pour laquelle je pratique cet art martial est donc l’envie d’enrichir ma relation à moi-même, de connaître mes potentialités ainsi que mes manques ce qui correspond en fait à être à l’écoute de ce que je peux être. J’ai envie d’harmonie physique et mentale et je vois bien que cette société ne nous y incite pas forcément! C’est donc à nous d’aller la chercher, d’aller créer cette « culture de l’équilibre », de l’harmonie en soi ainsi qu’avec l’autre,et l’aïkido me paraît être l’outil parfait. Une fois cette  » mise à l’écoute de soi  » affûtée, nous devenons capables de comprendre, d’entendre l’autre et d’éventuellement l’aider à emprunter la voie qui est la sienne. Le ressenti est au cœur de cette quête. Lorsque l’on exécute une technique, la sensibilité et le sens de l’écoute, développés après des heures d’entrainement, vous font passer du monde de l’harmonie (awase), à celui de la fusion (musubi). Les relations (aussi bien sur tatami qu’en dehors) sont alors des plus saines et votre technique ne s’en trouve que plus efficace .
Techniquement, la modification de l’utilisation que je peux faire de mon corps, la recherche du geste parfait m’intéressent particulièrement toujours dans un but d’efficience. Bien entendu la douceur, la bienveillance, la modération, envers soi et l’autre m’intéressent également beaucoup. Fini l’égocentrisme et la fierté mal placée, grâce à l’aïkido voici venu l’ère de l’amour et de la sérénité.
Quels sont les autres sports ou pratiques que tu affectionnes ?

Ma première passion bien avant l’aïkido a été l’équitation. J’ai eu une chance inouïe, car pendant que certains vivaient une jeunesse entourée de béton, de violence ou d’ennui, j’étais libre, à 1m60 du sol avec 600 kg me poussant à aller de l’avant. J’ai pratiqué cet art pendant 10 ans, et ai décroché le galop 7. Le plus important est que j’ai accumulé des souvenirs pour le restant de mes jours. Mon premier  » sensei  » était donc mon prof de cheval, Alain Camenen, un Breton à fort caractère. Je crois que c’est auprès de cet homme que je me suis éduquée et je pense que les valeurs qu’il m’a transmises ne sont pas étrangères à la femme que je suis aujourd’hui. Du fond du cœur Alain, merci. Au-delà de ça, je suis éducatrice sportive titulaire du BPJEPS (brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et des sports), j’aime tous les sports. La pratique physique m’est nécessaire et s’il fallait me définir je dirais que j’ai besoin d’action et d’expérience sur le terrain.

Est-ce que tu y vois des liens ? Une continuité avec ce que tu fais ? Ou y vois-tu des choses bien séparées, bien cloisonnées ?

Je finis par voir des liens avec l’aïkido absolument partout alors oui bien sûr que j’y vois des liens. L’équitation et l’aïkido développent les mêmes principes, comme je l’ai dit plus haut, une certaine sensibilité à l’autre, une écoute, rechercher l’harmonie sans jamais vouloir soumettre mais au contraire composer, main dans la main avec un partenaire. Première différence, d’un côté, cet  » autre  » pèse 600 kg et de l’autre 100 kg tout au plus . Deuxième différence, le cheval ne triche pas et tu ne peux pas tricher avec lui.  » Il est « , un point c’est tout. En aïkido, tu as tes démons, l’autre aussi… J’ai parfois l’impression qu’il y a beaucoup  » d’illusionnistes  » au sein de cette discipline, les gens préférant cacher leurs défauts plutôt que de les travailler. De plus, une seule erreur avec un cheval et vous la payez cher ! Toutefois les deux activités sont de fabuleuses écoles de la vie. Elles te donnent l’opportunité d’apprendre humblement sur toi-même, de travailler dans le but de t’améliorer afin de devenir un être humain. Voici une citation qui me reste en tête, issue des  » traditions martiales  » d’Ellis Amdur:

 » Sur une terre où aucun homme ne peut être trouvé, aspire à en être un. » Du rabbi Hillel et extrait des « Traditions martiales » d’Ellis Amdur.

Traditions Martiales, de Ellis Amdur
Traditions Martiales, de Ellis Amdur
Avec Ellis Amdur (photo: Shizuka Sasa-Tamaki)
Avec Ellis Amdur (photo: Shizuka Sasa-Tamaki)

Dans les deux disciplines, la notion de danger est présente et importante. La différence entre les deux disciplines est de l’ordre de la nature même de celle-ci. J’ai plus souvent ressenti la notion de danger physique en équitation que sur un tatami, la peur de tomber, de se faire mal, c’est que le risque du handicap est bien présent, et il est une règle en équitation qui vous pousse à remettre de suite le pied à l’étrier en cas de chute, peu importe la peur, le doute ou les questions. Ça a du participer à forger mon caractère.
Et puis d’un autre côté certains acteurs du monde martial te font ressentir le danger par le biais de la forte pression psychologique qu’ils t’imposent. C’est sur un tatami et nul part ailleurs que j’ai vraiment et pour la première fois ressenti un tel danger, par le biais d’une forte intention (belliqueuse) dirigée vers ma personne. Le premier souvenir date d’il y a quelques années. Ellis Amdur était venu en France à Paris pour donner un stage, et nous avions eu la chance, nous, élèves du Kishinkaï, de bénéficier d’un cours particulier. Suite à cela, il nous a été possible de lui poser des questions, d’ailleurs je ne me souviens plus de la mienne. Je crois qu’elle concernait le travail de l’intention… Par contre, je me souviendrai longtemps de sa réponse. A l’autre bout du dojo, détendu, sans intention particulière, Ellis Amdur en une fraction de seconde, fond sur moi comme un prédateur sur sa proie. De stupéfaction, j’en trébuche et tombe. L’assistance rigole, et je reste seule par terre face à cet impressionnant ressenti. Mon incompréhension fut totale ce jour là c’est un don qu’il venait de me faire. Sans un mot, juste une très forte intention a suffi.
La peur est liée au danger, à la prise de risque, à l’incompréhension ou à l’incertitude. Je pense en avoir ressenti les deux aspects: la peur physique et psychologique. Du coup j’en apprends encore un peu plus sur moi-même, et j’ai bien noté que la peur psychologique m’inhibe un peu alors que la physique me pousse à trouver toutes les solutions en ma possession et ce dans l’instant même.

Comment abordes-tu ta pratique au quotidien (ton mental en arrivant à l’entrainement, par exemple, ou ton changement d’humeur par rapport au reste de la journée) ?

En arrivant à l’entrainement, en général, je suis stressée par le parcours en voiture et fatiguée par ma journée de travail. Le challenge réside dans l’espoir de retrouver l’harmonie, le silence et le calme. Dire que j’y parviens tout le temps serait faux, mais j’y travaille !

Qu’est-ce que ta pratique t’apporte ? Qu’est-ce qu’elle a changé en toi ?

L’aïkido que je pratique, le Kishinkaï aïkido demande de guetter ses tensions, physiques et mentales et d’en prendre conscience dans le but de les faire disparaitre. La pratique nous révèle…, il m’est ainsi difficile de tricher sur un tatami.
Ce que cela m’a apporté? Je dirais une connaissance plus fine, plus poussée de ce que je suis vraiment et de ce que j’aimerai être. Ce sont mes défauts en tant qu’humain que l’aïkido m’a révélés. Avant la question ne se posait même pas, je pensais être quelqu’un de bien, maintenant je sais qu’il faut travailler,  » se façonner  » sans relâche. Il faut une bonne dose de travail (rires). Depuis mon regard sur les autres et sur moi-même a changé.

rire et travail, avec Chaymaa
rire et travail, avec Chaymaa

Y a-t-il une personne (vivante ou décédée) qui t’inspire particulièrement ? (Ou un livre, au pire, s’il n’y a personne en particulier ?)

Il y a bien sûr Léo Tamaki dont je suis l’élève. Son rôle est important car il nous guide sur la voie. Ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir un guide dans la vie! Il nous insuffle l’envie de nous dépasser, d’avancer, d’y croire. Que ce soit en nous, en l’avenir ou en l’aïkido. Il va m’être compliqué de lui rendre tout ce qu’il m’a donné et je pense qu’il se sent également redevable de ce genre de dettes envers ses propres maitres. Il nous apprend que la vie c’est recevoir afin de redonner, pour recevoir à nouveau. Et la boucle est bouclée, le cycle peut continuer.
Il y a aussi certains amis, nourrissant mes idées, me conseillant, m’épaulant dans des périodes de doutes. Merci à toi Alix 😉 ta sincérité et ta fidélité me vont droit au cœur et m’ont été utiles. Certains auteurs de livres m’apportent également beaucoup: Paulo Coelho, Bernard Werber, des philosophes comme Krishnamurti. J’ai particulièrement apprécié le livre:  » traditions martiales  » d’Ellis Amdur et son chapitre sur  » les femmes guerrières du Japon « . L’humanisme, la liberté, qui se dégage de ces hommes et de leur façon de penser alliée à cette idée de tolérance m’aident énormément! Certains parcours de vie m’inspirent également, je pense que l’humain a de tous temps, eu besoin de  » héros  » dans le but de s’inspirer de leur vie. De Marie Curie à Gandhi, demandons-nous qui nous voulons être et devenons-le! 😀
Il y a bien sûr mon père, décédé il y a un peu plus de deux ans et que je refuse de décevoir et bien entendu ma mère qui m’apporte un soutien indéfectible, d’une grande fidélité. Merci.

Est-ce que tu vis ton investissement au jour le jour ? Mais dans 10 ans, comment te vois-tu (partage par l’enseignement…, voyages …) ?

J’aimerai beaucoup voyager et être utile. Je t’avoue que j’ai quelques difficultés à me voir dans dix ans. Pour l’instant, disons que je fais confiance à la vie ainsi qu’aux personnes que je rencontre, on peut donc dire que je vis au jour le jour. Concernant l’avenir puisque telle est la question, il est capital d’avoir des rêves, et j’en ai. Alors si je te dis que dans dix ans, j’aimerais parcourir le monde, et par le biais d’outils comme l’aïkido, l’équitation, l’écoute, l’empathie ou je ne sais quoi encore, apporter ma pierre à l’édifice, que c’est comme un appel, tu pourras sourire face à tant de naïveté. L’adulte est un enfant qui a oublié ses rêves! Reconnectons-nous avec eux.

Maintenant, oublions tout ça. Décroche de notre lien martial. Parle-moi juste de toi (un petit texte court. Raconte-moi une blague ou un truc profond. Passe tes nerfs ou donne un coup de gueule. Donne un conseil aux générations futures. Ou fais un hommage à quelqu’un qui compte et t’aide. Une rencontre qui t’a marquée… ). Enfin, lâche-toi. Je veux pouvoir présenter plus avant ta personnalité par un petit texte qui te laisse la parole, voir vraiment qui tu es derrière le masque du parcours et de la pratique.

Tu veux quelque chose de rigolo!?  J’ai souvent l’impression d’être comme Naruto…:-D, quelqu’un d’un peu différent habité par une force colossale. L’enjeu de ma vie va être d’apprendre à la contrôler, afin de rendre au monde ce qu’il m’a donné. Quand je regarde en arrière, je me rends compte que je me suis toujours éclatée…
Je suis  » taillée pour le bonheur « , vraiment!

Marie et Isseï, au dojo d'Herblay
Marie et Isseï, au dojo d’Herblay

Pour suivre Marie :

http://mapostoloff.over-blog.com

Une pertinente présentation du travail de Marie, par Taro Ochaii :

http://kansenkai.com/post/117720105777/stage-kishinka%C3%AF-a%C3%AFkido-avec-marie-apostoloff-le

Vous pourrez également retrouver Marie Apostoloff très prochainement, dans les lignes de subo-subo.

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